N° 47 – 3e trim. 1964
Liminaire
Dans le dialogue œcuménique, bien des problèmes, et les plus importants, ne pourront être déchiffrés qu’en « seconde lecture ». C’est qu’ils concernent moins le contenu des formules que la manière même de les formuler, moins les paroles que leur dimension de silence, moins le Verbe peut-être que l’Esprit qui renouvelle et féconde toute expression mais sur lequel on ne saurait disserter. Il en est ainsi, en particulier dans les rapports si difficiles à préciser, à nuancer, entre catholiques et orthodoxes : ceux-ci butent sur un « obstacle invisible », essaient trop vite de s’expliquer, majorent indûment l’importance de telle formule ou institution. Pourtant les mises au point de leurs interlocuteurs n’arrivent pas à les convaincre. En « seconde lecture », majorations maladroites et sentiment d’une altérité au niveau même de l’identique (le sacramentel) semblent bien révéler que l’« obstacle invisible » est d’ordre « pneumatique ».
Si donc nous ne voulons pas que l’œcuménisme s’égare dans le secondaire et le dérivé, s’ensable aux subtilités d’une sociologie ecclésiastique qui n’intéresse que les «administratifs de la théologie», c’est dans le mystère de l’Esprit Saint que nous devons nous plonger comme dans l’unique jouvence. Car le Christ n’est pas venu pour être servi, mais pour qu’à travers son corps sacrificiel, transparent, — soma pneumatikon, — le Père nous envoie l’Esprit vivifiant. Certes, c’est d’une manière bien lourde, peu adéquate à son objet (car l’Esprit est inobjectivable par impossibilité de définition) que la controverse sur le filioque a posé et pose à nouveau la question : pourtant, en « seconde lecture », elle attire notre attention sur la dimension épiclétique du mystère, sur l’équilibre dynamique entre le magistère et le laïcat, le sacrement et la prophétie, sur la dimension eschatologique de la révélation, close en Christ, mais inépuisable dans l’Esprit, sur cette lumière incréée ruisselant de la chair spirituelle du Ressuscité et dans laquelle l’homme et le cosmos sont appelés à s’embraser par l’« acquisition du Saint-Esprit ». En bref : sur l’ultime réciprocité des deux Personnes manifestatrices — le Fils et l’Esprit, — et non sur la dépendance appauvrissante du second par rapport au premier.
Seul le renouveau — inséparablement contemplatif, théologique et philosophique (au niveau d’une anthropologie et d’une cosmologie) — de notre méditation sur le rôle, la présence, la personne du Saint-Esprit, pourrait désensabler l’œcuménisme, permettre une appréciation ecclésiale de la Réforme, fonder en profondeur le renouveau intérieur du catholicisme, libérer les puissances d’unité et de vie encloses dans l’orthodoxie. Seul ce renouveau pourrait nous aider à comprendre le sens de la sécularisation moderne, qui est appel indirect à la transcendance de la personne, à sa liberté créatrice dans l’Esprit Saint pour « ecclésialiser » toute la vie : « Déracine-toi et plante-toi dans la mer ! »
Pour un renouveau de la pneumatologie, ou plutôt de la vie personnelle, donc communiante, dans le Saint-Esprit — cette vie dont nous avons, avec beaucoup d’érudition, sondé, reconnu, célébré les racines mystériques, mais dont peut-être nous refusons le risque : tel nous paraît être l’appel consonnant qui s’ébauche dans l’homélie du P. Lev Gillet et dans les trois études qui suivent et qui concernent l’une les rapports de l’orthodoxie avec les autres chrétiens, les deux autres sa situation théologique devant l’athéisme.
Sommaire
Liminaire : en seconde lecture
[p. 161-162]
Olivier Clément
Huit jours après
[p. 163-166]
Archimandrite Lev Gillet
Présence théologique, relations œcuméniques et unité intérieure de l’Orthodoxie
[p. 167-203]
Nikos N. Nissiotis
Phénoménologie de l’athéisme
[p. 204-223]
Paul Evdokimov
La théologie est-elle possible au XXe siècle ?
[p. 224-236]
B. Lempert
Bibliographie
• Le Messager Orthodoxe, N°24-25 (IV-1963, I-1964) – ACER
[p. 237-240]
• Livres reçus
[p. 240]