Contacts, n° 210

N° 210 – 2e trim. 2005

Liminaire

Ce numéro de Contacts consacré à l’ecclésiologie aborde des thèmes quelque peu exigeants mais de première importance pour la vie de l’Orthodoxie en Occident, dans son évolution progressive vers une organisation canoniquement unifiée, et pour le dialogue entre les Églises. On sait trop bien, hélas, que l’adéquation entre les grands principes dogmatico-canoniques et le découpage diocésain des Eglises orthodoxes de la diaspora est malaisée dans la plupart des pays occidentaux : le plus souvent, en effet, le critère de l’origine ethnique ou nationale des communautés y prévaut, au détriment de la conscience du lieu où est offerte l’Eucharistie et où s’organisent les diocèses.

Dans une belle et vigoureuse homélie qui introduit ce volume, l’évêque Athénagoras Peckstadt expose avec force et simplicité quelques principes de ce qu’il est convenu d’appeler l’ecclésiologie eucharistique. Ces principes doivent être sans cesse rappelés puisqu’ils sont en réalité si difficilement mis en œuvre dans nos Eglises, l’orthopraxie n’allant pas mécaniquement de pair avec l’orthodoxie de la foi.

Intitulée « La relation d’opposition entre Eglise établie localement et diaspora ecclésiale », la longue étude du père Grégoire Papathomas a précisément pour objet de proposer une réflexion éclairante, rigoureuse et sans concession sur les problèmes ecclésiologiques actuels hérités des Temps Modernes, et de montrer, en particulier, les limites de la réception de l’ecclésiologie eucharistique au sein même de l’Orthodoxie. Après avoir évoqué le problème des communautés ecclésiales dites de « diaspora », l’article examine la relation d’opposition instaurée de facto entre l’Église locale et la « Diaspora » ; enfin, en recourant à des exemples récents et aux textes statutaires en vigueur, il met en évidence les problèmes ecclésiologiques posés par la praxis des Églises et les difficultés qui s’ensuivent pour la communion ecclésiale. Cette étude a le mérite, entre autres, de souligner l’articulation historique qui existe entre le phénomène du confessionnalisme en Occident et celui de l’ethno-phylétisme dans l’Orient chrétien. Il montre que plusieurs Églises orthodoxes autocéphales, en étendant officiellement leur juridiction sur des ressortissants considérés indépendamment de toute territorialité et se trouvant en dehors même de leur territoire canonique traditionnel, violent gravement les principes ecclésiologiques de la Tradition de l’Église ancienne, et sèment la confusion dans la conscience des fidèles.

Il existe, malgré tout et heureusement, des Églises orthodoxes dont la charte statutaire s’avère presque exemplaire. Dans une étude bien documentée sur « Le cadre canonique des relations de l’Église semi-autonome de Crète avec le Patriarcat œcuménique » introduite par Nicolas Lossky, Constantin Papagéorgiou nous livre une présentation détaillée de l’organisation et du fonctionnement actuel de l’Église de Crète. Le lecteur gagnera à lire attentivement cet exposé d’aspect quelque peu aride consacré à l’une des Églises les mieux organisées de l’espace orthodoxe, tant on y observe une proximité remarquable entre ses neuf évêques et leurs fidèles. Contrairement à la plupart des Églises autocéphales modernes, l’Église de Crète maintient encore aujourd’hui les principes fondamentaux du système métropolitain de l’Église ancienne. N’y a-t-il pas là, avec les différences qui s’imposent naturellement, de quoi s’inspirer pour l’organisation canonique future d’une Église orthodoxe en France ?

La remarquable étude, autant ecclésiologique qu’historique, de D. Pospielovsky sur les efforts de l’Église russe pour vivre la conciliarité nous fait passer pour ainsi dire d’un cas extrême à l’autre : on observera simplement qu’entre la Crète et la Russie, la taille des diocèses (en nombre de fidèles) varie selon un rapport de 1 à 20. On comprend l’aspiration légitime à la sobornost de la part des fidèles d’une Église où a sévi longtemps et où sévit encore une extrême centralisation, vestige de la Troisième Rome. Lorsque l’on fait le bilan des richesses du grand concile de Moscou de 1917-1918, précurseur de celui de Vatican II, on est évidemment stupéfait que l’Église de Russie, en principe libre de toute entrave de la part de l’État depuis presque quinze ans, considère toujours cet événement prophétique avec une extrême méfiance et n’ait mis en œuvre quasiment aucune de ses mesures, préférant renouer avec la tradition tardive et contestable d’une Église d’empire.

Dans « Le prix à payer ? », Jerry Ryan nous livre le témoignage touchant de la souffrance que constitue l’impossibilité de communier pour un fidèle catholique romain qui pourtant a pu s’intégrer fraternellement à la vie d’une communauté eucharistique orthodoxe. Nicolas Lossky rappelle les raisons de principe qui expliquent cette impossibilité, raisons précisément fondées sur l’ecclésiologie et sur l’existence d’une séparation historique toujours prégnante entre les Églises d’Orient et d’Occident. Face à l’affirmation croissante, dans l’ère post-moderne de la « globalisation », des nouvelles formes d’une religiosité toujours plus individualiste et « antidogmatique », faisant la part belle aux exigences de la subjectivité, il faut rappeler aussi que l’Église n’est pas une simple association d’individus croyants mais un corps constitué de personnes libres en communion, animées d’une prière commune et d’une concorde dans la foi. La souffrance de la désunion des chrétiens n’est pas le monopole des pasteurs et des clercs : elle devrait toucher tous les fidèles, hâtant davantage l’événement tant désiré d’une réconciliation dans l’Esprit Saint.

Contacts

Sommaire

Questions ecclésiologiques

Liminaire
[p. 89-91]
« Contacts »

La place centrale de l’Eucharistie dans l’édification de l’Église
[p. 92-95]
Évêque Athénagoras Peckstadt

La relation d’opposition entre Église établie localement et diaspora ecclésiale
[p. 96-132]
Grégoire Papathomas

Le cadre canonique des relations de l’Église semi-autonome de Crète avec le patriarcat œcuménique
[p. 133-148]
Constantin G. Papagéorgiou

En chemin vers la conciliarité
[p. 149-168]
Dimitry Pospielovsky

Témoignage : Le prix à payer ?
[p. 169-175]
Jerry Ryan

Hospitalité eucharistique ?
[p. 176-178]
Nicolas Lossky

Bibliographie
[p. 179-191]
• « Il primato nell’Ecclesiologia ortodossa attuale » – Il contributo dell’ecclesiologia eucaristica di Nicola Afanassiev e John Zizioulas
• « Au fil de l’Apocalypse » – Alexandre Men
• « God with us » – Critical issues in christian life and faith – John Breck
• « Le monde sauvé » – commentaire de l’Apocalypse de Jean – Enzo Bianchi
• « Ne nous laisse pas entrer dans l’épreuve » – Jean-Marie Gourvil
• « Prier quinze jours avec les martyrs chrétiens du xxe siècle » – Didier Rance
• « La Veilleuse des Solovki » – Boris Chiriaev