N° 195 – 3e trim. 2001
Liminaire
Le mouvement œcuménique passe à l’heure actuelle par une période de turbulences. Après les grandes avancées accomplies au siècle dernier pour parvenir à un rapprochement des chrétiens, préalable à une unité enfin sacramentellement réalisée, le moment semble venu de s’arrêter pour souffler un peu, pour intégrer en profondeur, à la base, certains acquis irréversibles et pour, espérons le, repartir d’un bon pied. La commission internationale de dialogue catholique-orthodoxe donne de sérieux signes d’essoufflement, le Conseil œcuménique des Églises, partagé entre une écrasante majorité de plusieurs centaines d’Églises protestantes face à quelque quinze Églises orthodoxes « autocéphales » de vénérables antiquité, doit impérativement reconsidérer son mode de fonctionnement sous peine de voir d’autres Églises orthodoxes prendre le large. Des décisions, comme celle du Synode national de l’Église réformée de mai dernier, prônant l’accès à la Sainte Cène à des gens qui n’auraient pas reçu au préalable le sacrement du baptême, ne laisse pas d’inquiéter bon nombre de théologiens. Elle provoque des remous dans d’autres Églises issues de la Réforme, comme les luthériens, et également elle est mal reçue dans nombre de milieux réformés. Bien que l’on puisse comprendre le désir de tenir « table ouverte» aux hommes de ce monde désireux de se rapprocher du Christ, ainsi qu’une volonté de convivialité, elle risque toutefois de provoquer un durcissement des relations avec les réformés dans un domaine sensible, celui de la sacramentalité. Les voyages du pape dans les pays à majorité orthodoxe, comme la Roumanie ou la Syrie, se sont déroulés dans d’heureuses conditions, et un dialogue fraternel a pu y être engagé. Par contre en Grèce la population a été volontairement tenue à l’écart, seuls quelques groupes fanatiques vociféraient des insultes, et l’archevêque d’Athènes semblait mal à l’aise. Quant au voyage en Ukraine, l’Église orthodoxe était tout simplement absente. Le problème de l’Église « uniate », dont les fidèles ont été réconfortés par la venue de leur chef spirituel, n’a pas reçu de solution satisfaisante. Jean-Paul Il a eu le grand tort, nous semble-t-il, d’accorder audience à deux responsables d’Églises schismatiques, dont l’un a été réduit à l’état laïc par le synode de Moscou. Ce geste a provoqué l’ire du patriarche Alexis Il et de son entourage, et le pape se prive ainsi de la possibilité de faire un pèlerinage qui, dit-on, lui tient à cœur depuis longtemps, celui de Moscou. En s’immisçant dans les affaires internes à l’orthodoxie il enfonce un clou entre les deux patriarcats de Moscou et de Constantinople (ce dernier soutenant les Églises schismatiques) et pourra difficilement éviter le reproche d’un certain expansionnisme. Mais les paroles de pardon qu’il a prononcées, fortes et courageuses, resteront comme le plus beau fleuron de ces déplacements. On doit d’autant plus regretter la mise en retrait, sinon l’absence, des Églises orthodoxes, à quelques rares exceptions, dans un dialogue proposé mais non accueilli comme il aurait pu l’être. Il faut surtout espérer que ces Eglises sauront résister à la pression de leurs minorités agissantes, ultra-intégristes et nationalistes, et à la tentation de se replier sur elles-mêmes à l’écart d’un occident dont elles n’ont pas encore su évaluer les vraies valeurs.
Cet arrière-fond grisâtre sur le front œcuménique ne doit en rien décourager, voire démobiliser, tous ceux – et notre revue veut être parmi eux – qui aspirent de tout leur cœur au rétablissement de l’unité entre les chrétiens. Ce numéro veut se situer, entre autres, dans la continuité du dialogue, de l’échange de témoignages, de la prise en compte de problèmes spécifiques qui se posent à toutes les Eglises.
Dans une allocution donnée à un colloque de la fondation pro Oriente, à Vienne, Michel Stavrou montre avec clarté et profondeur comment la christologie, ce cœur de la révélation chrétienne, est inséparables chez les Pères grecs d’une réflexion sur le Père et l’Esprit Saint, les trois personnes de la Trinité agissant avec la même puissance. Quelques indications précieuses pour le dialogue théologique sur la place de l’Esprit Saint en ecclésiologie.
Olivier Clément reprend la partie de la déclaration Dominus lesus consacrée à la rencontre entre le christianisme et les autres religions pour l’ouvrir en vérité à une dimension universelle. Dans une belle envolée théologique, et en s’appuyant sur certains Pères comme Justin qui évoquait les « semences de vérité » répandues dans l’univers, il va jusqu’à dire que l’Eglise, partout présente, «englobe le cosmos et l’humanité pour ceux bien sûr qui en sont conscients et reconnaissants».
Dominus lesus est partiellement repris dans une réflexion très ouverte de R. Dumont sur la primauté, cette grande pomme de discorde entre l’Église catholique, et les Églises orthodoxes ou protestantes. L’ayenir dira si cet appel quelque peu prophétique, où une Eglise saurait faire offrande sacrificielle d’elle-même pour être au service des autres, se réalisera.
On sait à quel point la question d’un ministère sacramentel conféré aux femmes, tient à cœur à la théologienne É. Behr-Sigel. Elle y revient dans un texte qui retrace brillamment l’histoire de la question du sacerdoce féminin depuis 1961 et en dresse l’état tel qu’il se présente aujourd’hui. Suit une supplique adressée au patriarche Bartholomée.
Une réflexion belle et paisible sur le mariage dans l’Église orthodoxe, avec quelques aperçus sur son «vécu», notamment parmi les adolescents, nous est donnée par H. Roscanu, membre de l’Eglise gréco-catholique au Canada.
Avec lucidité, l’archimandrite Hilarion (Alfeyev) se penche sur les raisons du surgissement de l’athéisme avant, pendant et après la révolution de 1917 dans un pays qui s’était donné le nom de « Sainte Russie « . Il met en garde contre un retour aux errements pré-révolutionnaires d’une Église liée à l’État, principal obstacle à la transfiguration des âmes sous le feu de la parole évangélique.
Maître d’œuvre d’un immense travail sur Le patrimoine européen, en 15 volumes (Bruxelles, 2000), J.-C. Polet est bien placé pour méditer en profondeur sur le concept de culture, dans le sens de l’idéal humaniste hérité de la Renaissance, mais descendu du ciel métaphysique par évacuation de sa dimension religieuse, à une époque de relativisation et de légitimisation de tous les ensembles culturels là où naguère la culture européenne régnait sans partage.
Contacts
Sommaire
[p. 193]
La dimension pneumatique de la christologie des Pères grecs
[p. 196-205]
Michel Stavrou
Une fidélité sans espérance – La déclaration Dominus Iesus
[p. 206-216]
Olivier Clément
Pour une Eglise d’Eglises et une primauté ouverte
[p. 217-235]
Roland Dumont
L’ordination des femmes : un point chaud du dialogue féminin ?
[p. 236-252]
Elisabeth Behr-Sigel
Vers une restauration créative du diaconat féminin ?
[p. 253-258]
Elisabeth Behr-Sigel
Le mystère du mariage dans l’Eglise d’Orient
[p. 259-267]
Horia Roscanu
L’athésime et l’orthodoxie dans la Russie contemporaine
[p. 268-277]
Père Hilarion Alfeyev
Culture et foi
[p.278-295]